- Yael Shaw
- Messages : 36
Age : 27
Feuille de personnage
Secteur: Peur
Année d'étude : 2eme année
Etudiant(e) en : Philosophie
Yaël J. Shaw
Jeu 12 Déc - 18:49
YAËL J. SHAW
vingt ans - secteur peur - deuxième année philosophie
- 2h31:
- Yaël fixe devant lui, tourné face au mur inanimé collé à son lit. Peut être qu'il est 4 heures, peut être qu'il est minuit, peut être que cela fait des heures qu'il est allongé là, immobile, peut être que ça ne fait que cinq minutes, il n'en a plus aucune idée. Le sommeil est introuvable, comme toujours – il pense a ses colocataires, qui doivent être en train de dormir à poings fermés dans les pièces voisines, avec de l'envie, presque de la jalousie. Il ferme les yeux, fort, fronce les sourcils comme si cela pouvait l'aider à chasser toutes les pensées intrusives qui tournent en rond dans sa tête incessamment. Rien n'y fait. Il se retourne sur le dos, se redresse, s'assoit, regarde par la fenêtre.
La ville est grande, la ville est haute, les lumières fusent, s'allument et s'éteignent, délicatement, sans briser le caractère paisible de cet espace urbain, les fenêtres s'étendent par milliers, les gens entrent et sortent des bâtiments, sans briser le sentiment de familiarité que Yaël tient au creux de son cœur lorsqu'il l'observe du haut des dortoirs du secteur Peur.
Il se lève.
Ses pieds frottent contre la moquette alors qu'il marche à travers sa chambre, posant un pied devant l'autre, sans but, le regard et le corps épuisé. Sur son bureau, ses cours sont entassés sur son ordinateur, les carnets, les tablettes, les stylos. Il les regarde de haut, frottant sa joue mal rasée de sa main, l'air de mesurer l'importance de sa présence en cours le lendemain matin – sachant déjà qu'il n'y a aucune chance qu'il s'y présente, car son alarme de 7h30 ne suffira pas a lui faire ouvrir les yeux. Au-dessus du bureau sont accrochées des photos de lui et ses amis, encadrés de posters poussérieux.
Les pieds sur la table de l'amphithéâtre, Yaël observe la feuille entre ses mains. 15/20. Peut-être serait-ce un peu prétentieux de dire qu'il s'y attendait, bien qu'il ait fait l'intégralité de sa dissertation la veille pour le lendemain, fumant cigarette sur cigarette, de la caféine pure coulant dans ses veines alors qu'il frottait ses yeux brûlants dû au manque de sommeil... comme à chaque fois. Il jette la tête en arrière, regarde la tapisserie au plafond, les moulures créant de jolies arabesques arrondissant les coins de la salle. La voix d'Elyon, son meilleur ami, résonne dans son crâne - « mais t'es un alien gros, c'est pas possible autrement », il sourit un peu. Même lui, il ne pourrait pas expliquer comment il fait, mais il ne s'en plaint pas. C'est sûr que s'il n'avait pas ces capacités académiques innées, il s'en sortirait très mal (voir... pas du tout) à l'Université. A vrai dire, Yaël n'est pas du genre bosseur. Ca se voit, par ailleurs. Ses yeux commencent à se fermer, somnolant par dessus la voix du professeur qui récite le cours mécaniquement.
L'heure se termine. Il se lève, s'étire – les plus studieux du groupe de classe lui lancent des regards amers alors qu'il remet sa veste, s'empressant de sortir de la pièce. Dans les couloirs, quelques personnes l'arrêtent pour dire bonjour, faire une blague en passant, lui faire un petit geste de la main, ou lui demander s'il vient ce soir. Yaël sourit, sort du bâtiment. Comme tous les jours, pas de programme. Ce qu'il allait faire maintenant dépendait de qui il allait croiser sur le campus ou dans les couloirs des dortoirs. Il passe dans le hall, tourne la tête, se voit dans la vitre lustrée, s'observe un instant.
- 2h33:
- Un miroir tient debout à l'autre côté de la pièce, et il peut apercevoir un morceau de son visage lorsqu'il tourne la tête vers la gauche. Il tourne les talons et vient s'approcher du reflet, se penche un peu, s'observe, avec une grande tristesse inévitable au fond de ses yeux. Ce n'est pas qu'il se déplaît - au contraire - mais il y a quelque chose de très amer dès qu'il se regarde lui-même. Son visage avait le goût de cette question qui resterait toujours sans réponse; est ce qu'il ressemble à sa mère ? Chaque soir, il essayait de se rappeler la chaleur de ses bras ou son parfum, fouiller au plus profond de ses souvenirs, ceux qui remontent à lorsqu'il n'était encore qu'un enfant, qu'il savait a peine marcher, avant qu'elle ne refasse sa vie, qu'elle ne disparaisse, qu'elle ne le raie complètement de la carte. Et comme il était impossible de déterminer de qui il tenait réellement, il aimait prétendre ressembler à son père...
...Où à son oncle, plutôt. Les mêmes traits de visage si féminins, mais si fermés, de la lignée des Shaw. Il essaie d'esquisser un sourire, pour se dégager de ce rictus terne que son père arborait si souvent. Il détestait avoir le même visage triste que lui. Ca lui rappelait tout. Tout. Tous les souvenirs qui ne le lâchait pas, jamais. L'appartement qui n'était que silence chaque soir, les lumières éteintes, les sourires angoissés de son père par dessus un dîner presque froid. Il se rappelait cette impression que son père se détériorait au fil des semaines, sans vraiment savoir s'il père tombait de plus en plus au fond du gouffre, où si c'était lui qui grandissait et comprenait mieux les choses qui l'entouraient. Il se rappelait les après-midis à attendre que son père rentre, fixant le reflet de l'horloge sur le plan de travail en inox où les secondes s'écoulaient, en silence, à penser, se tenant assis seul sur le tabouret de la cuisine des heures, avant que le bruit des clefs tournant dans la serrure se fassent entendre. Il était trop petit. Il était trop jeune. Trop jeune pour s'asseoir dans le silence et tourner en boucle ces questions dans sa tête, encore et encore, se demandant pourquoi son père ne répondait jamais la même chose pour justifier qu'il était absent tous les soirs, pourquoi sa voix tremblait quand il répondait a ces questions, et quand est ce que tout cela allait s'arrêter.
Maintenant, c'est comme si ces mauvaises habitudes étaient restées. On grandit en se posant des questions, alors on vit en se posant des questions. Il tourne le dos au miroir.
Sa chemise est un peu trop ouverte sur son torse – comme d'habitude – et il n'avait même pas remarqué à quel point il était mal coiffé en sortant du dortoir ce matin. Bon, c'est pas comme s'il avait vraiment eu le temps de se préparer : c'était Enyo qui était venu le secouer à 9h50, pour qu'il se réveille et ne manque pas son cours du matin, et il s'était empressé de ramasser les quelques vêtements par terre et fuser en dehors du dortoir. Des fois, il se demande ce qu'il ferait sans elle. Son réveil matin préféré. Il ne comptait pas non plus se changer pour sortir ce soir – rejoindre ses amis, boire assez pour ne plus contrôler ce qu'il fait, draguer quelques filles en groupe, raid des bars, des boites, des appartements, peut importe où l'ambiance se trouve.
De toute façon, tout le monde était habitué au côté décontracté (brouillon) de Yaël, et lui-même avait compris que c'est ce qui faisait son charme. Peut être que c'était ce calme à tout épreuve, cet air de je-m'en-foutisme, où cet humour nonchalant qui fait que la grande plupart des gens de l'Université le connaissent, juste de nom ou alors de près. C'est dur de l'éviter. C'est dur de le détester. Il en a conscience. Il se sourit à lui même, tourne les talons et sort dans les jardins du campus.
- 2h34:
- Il va jusqu'à la fenêtre, l'ouvre et allume une cigarette. La lumière du briquet danse sur son visage, crée des ombres bizarres sous ses yeux. C'est vrai, maintenant qu'il y pense, il se rappelle de tout.
Il se rappelle des embrassades immenses et sans fin de son père, et à quel point il se sentait en sécurité entre ses bras qui le soulevaient et le protégeaient. Son titre tonitruant dont il avait clairement hérité. Ses comptines. Sa silhouette impressionnante, si mince et si grande, devant la porte de sa chambre. Ses blagues embarrassantes, ses "je t'aime", ses "je suis fier de toi mon fils" volés avant de partir à l'école. Son teint livide, aussi. Son visage aux yeux fuyants sur le côté lorsqu'il entendait des gens parler dans la rue. Ses rires nerveux. Ses silences peu adéquats. Ses veillées dans le salon, habillé, faisant les cents pas, tournant en rond, cigarette à la main, le léger brouillard rasant le plafond.
Tout ça n'avait pas duré, mais cela avait semblé durer une éternité à ses yeux.
David Shaw décéda quand son fils eût 12 ans, un soir d'automne, par un tragique accident de travail et Yaël partit vivre chez son oncle – le frère et meilleur ami de son père. A partir de là, ce sont des nouveaux souvenirs extrêmement différents qui tournent en rond dans le crâne de Yaël. Comme s'il avait hérité drastiquement d'une toute nouvelle vie. Sa petite cousine courant dans l'escalier, les grandes fenêtres aux rideaux oranges, les gâteaux a la fin de chaque dîner... Yaël était brisé, avait perdu tout ce qui lui était cher, mais avait conscience que son oncle faisait tout pour lui donner une vie meilleure et remplir ce trou que le jeune Yaël avait dans le coeur.
Encore, une fois, tout ça n'avait pas duré très longtemps.
Yaël souffle la fumée, pose son menton dans ses bras croisés. Des gens dehors rient et crient.
Alors qu'il sort une cigarette, il croise un groupe de premier années discutant entre eux d'un air inquiet; le nom "zia" est mentionné. Il fronce les sourcils, marque une pause, et reprend sa marche, décidant de ne pas laisser ça gâcher sa bonne humeur. Il se connait très bien. S'il commence à se préoccuper du fonctionnement du Gouvernement, d'y réfléchir un peu trop comme Enyo a tendance à faire, il s'en sortira pas et ne sera même plus d'humeur pour sortir ce soir. Il a gâché trop d'heures à fixer devant lui en bougeant son genou nerveusement, angoissé, se sentant enfermé, surveillé, au bord de la paranoïa. Maintenant, il veut juste éviter d'y penser le plus possible - il ne pourra strictement rien y faire, pas vrai? Ca ne sert plus a rien de retourner le truc dans tous les sens dans son crâne. Il a assez souffert. Il a autre chose à faire.
- 2h38:
- Il avait 15 ans. Sa vie si mouvementée semblait prendre une tournure plus calme, et il avait cru être arrivé au bout de ses surprises, après tous ces événements succins et déchirants – le seul inconvénient, c'était les insomnies, les cauchemars et les terreurs nocturnes, qui le réveillaient la nuit en cris et en sanglots, qui le terrorisaient. C'est ce qu'il le poussa a descendre les escaliers, frêle, terrifié par ses propres rêves, un soir d'hiver. Mais ce n'est pas le réconfort de son oncle qu'il trouva dans la cuisine – mais un regard similaire que celui de son père, assis à table, le visage brouillé par la fumée de la cigarette, le même nez et la même mâchoire sévère que lui sous les ombres du lustre. C'était avec une main tremblante qu'il tira la chaise vers lui lorsque son oncle lui proposa de s'asseoir, juste en face de lui.
Yaël se ne se souvient pas ses propos de son oncle exactement, mais il se souvient de ce qui fut dit. Les affaires de son père contre le gouvenement, son combat acharné, le diplôme du secteur Peur – ce cadeau empoisonné – les rebelles, et tout semblait prendre sens d'un coup. Il comprit ses absences. La raison pour laquelle il s'empressait d'éteindre les lumières dès que des bruits sourds provenaient de la cage d'escalier. Les mensonges. Il avait enfin ses réponses. Et alors qu'il se mit à voir son père différemment, en le comprenant enfin, c'est comme s'il se réinventait – mais ce n'était pas la sensation de renouveau à laquelle il s'attendait le jour ou il comprendrait tout ce que son enfance lui cachait. C'était pesant. Il voulait reculer. Il voulait reculer, disparaître. Ses souvenirs s'arrêtent là. Il se souvient juste être assis, tétanisé, le carrelage blanc sous ses pieds, son oncle assis en face de lui avec son dos recourbés et ses deux tel deux phares perçant désespérément par dessus la table, vers le visage de Yaël.
Une nouvelle fois, le jeune homme se remit à compter les heures, comme dans sa plus petite enfance, vide de regrets, vide de remords.
Il voit un groupe d'amis à lui au loin se tenir devant les portes de l'Université. Un d'eux l'aperçoit et lui fait un signe. Yaël sourit grandement, s'approche d'un pas décidé pour les rejoindre, peu importe où ils comptent l'amener. Il se retourne, regarde les première années s'éloigner vers l'intérieur du bâtiment. Il sort son briquet, allume sa cigarette en les regardant d'un air inquiet, qu'il ne peut s'empêcher d'arborer. Les sourcils froncés, sa cigarette à goût de questions, des questions qu'il connaît trop bien pour vouloir encore les entendre:
- 2h43:
- Après cette nuit, et jusque désormais, la vie reprit son cours dans un paradoxe doux mais infect, où Yaël profite d'un quotidien paisible qui ne ressemble en rien à ce qui se passe à l'intérieur de lui. Il ferme les yeux un instant avant de jeter sa clope par la fenêtre et retourner s'allonger, tentant de fermer les yeux pour de bon. Le vent souffle par la fenêtre, caresse tout doucement le creux de ses omoplates. Toutes ses réponses qu'il avait prié pour recevoir lui avait amené beaucoup trop de questions cinq fois plus compliqués et obstinantes.
Et alors que le sommeil l'emporte, il se dit,
Comment réussir à faire la différence entre construire et détruire lorsque mon père a fait les deux tout à la fois, sous mes yeux, toute mon enfance? Pourquoi c'est si dur de ne pas me noyer dans l'idée que son enfance n'était qu'un pur mensonge, alors qu'il me mentait chaque matin, chaque soir? Comment gérer des relations humaines correctes après tout ça? Après leurs mensonges? Après leurs trahisons? Après leur mort? Comment ne pas angoisser que n'importe quelle situation ne risque de me glisse d'entre les mains?
Comment me faire confiance à même et aux autres quand personne n'a su me dire la vérité pendant quinze ans durant? Comment considérer que je mérite qu'on soit honnête avec moi, si mon propre père, ma propre famille, lui a tout caché ? Comment ne pas me blâmer? Comment pardonner et grandir? Comment apprendre et accepter?
Comment ne pas avoir de haine quand ma mère m'a abandonné sans donner de nouvelles du jour au lendemain? Comment ne pas être empli de haine alors que je n'ai pas su la retenir à la maison? Même si j'étais son propre fils, sa propre progéniture? Pourquoi n'a-t-elle pas donné de nouvelles lorsque mon père? Est ce qu'elle est consciente d'à quel point je l'ai attendu, chaque jour, chaque soir? Est ce qu'elle nous aimait vraiment? Est ce qu'elle pense à moi? Comment ne pas avoir de haine quand elle n'a pas su sauver mon père, rester et l'aider?
Comment ne pas avoir de haine quand moi-même, je n'ai pas su sauver mon père?
Quand est-ce que cette illusion prendra fin? Quand est ce que je sortirai de mon déni pour voir qu'une épée de Damoclès se tient au dessus de ma tête, surveillant chacun de mes mots?
Quand est ce qu'il comprendra, qu'encore une fois, le monde s'étend au delà de ce qu'il sait et de ce que les gens lui disent? Quand est ce qu'il fera face au fait qu'il ne peut pas échapper à son propre destin?
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|